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11 octobre 2025
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Le cloud souverain : une priorité stratégique pour les États africains

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Et si la souveraineté du XXIᵉ siècle se jouait non plus sur les frontières physiques, mais dans les nuages numériques ? Face à la montée en puissance des géants du cloud mondial — Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud —, plusieurs pays africains font désormais du cloud souverain une priorité stratégique. Objectif : maîtriser leurs données, renforcer leur sécurité numérique et bâtir une économie digitale indépendante.

Depuis 2023, l’Afrique a connu une accélération sans précédent de la digitalisation : explosion du e-commerce, administrations connectées, éducation en ligne, fintechs et services publics dématérialisés. Mais derrière cette croissance se cache une dépendance préoccupante : plus de 85 % des données africaines sont stockées en dehors du continent, principalement en Europe ou aux États-Unis. Une situation qui soulève de graves enjeux de confidentialité, de souveraineté et de compétitivité économique.

La souveraineté numérique, un enjeu de sécurité nationale

Pour de nombreux gouvernements, la question n’est plus seulement technologique, mais géopolitique. La concentration des données africaines dans des serveurs étrangers expose les États à des risques majeurs : espionnage économique, perte de contrôle sur les infrastructures critiques, dépendance aux législations extérieures.

Le Rwanda, le Nigeria et le Maroc font partie des pionniers de cette prise de conscience. En 2024, Kigali a lancé le Rwanda National Cloud, un projet national de data centers publics destiné à héberger les données gouvernementales et les services administratifs stratégiques. Au Maroc, l’Agence de Développement du Digital (ADD) a annoncé un partenariat avec Maroc Telecom et Huawei Cloud pour créer un cloud souverain marocain certifié ISO 27001, tandis que le Nigeria travaille à un “Digital Sovereignty Framework” pour encadrer le stockage et le transfert des données nationales.

« Le cloud souverain n’est pas seulement une infrastructure technique, c’est un instrument de souveraineté politique et économique », résume Amina El Hadi, chercheuse en cybersécurité à l’Université de Rabat.

Les opérateurs africains se mobilisent

Conscients des opportunités, plusieurs acteurs africains du numérique investissent massivement dans des infrastructures locales. Le groupe Liquid Intelligent Technologies, présent dans 13 pays, a inauguré une série de data centers de dernière génération en Afrique du Sud, au Kenya et en République Démocratique du Congo. De son côté, MainOne, racheté par Equinix, étend ses capacités de cloud régional en Afrique de l’Ouest, offrant une alternative crédible aux géants étrangers.

Des initiatives publiques-privées émergent également, à l’image du programme Smart Africa Trust Alliance (SATA), soutenu par l’Union africaine et la Banque mondiale. Ce projet vise à créer un cadre continental de confiance numérique, garantissant l’interopérabilité entre les clouds nationaux et la conformité aux normes internationales.

« Nous devons construire un cloud africain interconnecté, basé sur la confiance, la transparence et la sécurité », a déclaré Lacina Koné, directeur général de Smart Africa, lors du sommet Transform Africa 2025 à Nairobi.

La protection des données, pierre angulaire du cloud souverain

Pour qu’un cloud soit véritablement souverain, il ne suffit pas qu’il soit hébergé localement : il faut aussi un cadre juridique solide. Or, à ce jour, seuls 25 pays africains disposent d’une loi complète sur la protection des données personnelles. La Convention de Malabo (2014), qui établit un cadre continental pour la cybersécurité et la protection des données, peine encore à être ratifiée par tous les États membres.

Cependant, la tendance s’inverse. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin ont récemment renforcé leurs autorités de protection des données (comme la CDP au Sénégal ou la CIL en Côte d’Ivoire), tandis que l’Afrique du Sud applique déjà des standards proches du RGPD européen à travers sa loi POPIA. Ces régulations sont essentielles pour assurer la confiance des citoyens et des entreprises dans les infrastructures cloud locales.

L’essor d’un cloud africain éthique et durable

Au-delà de la souveraineté, les États africains voient dans le cloud local un levier de développement économique et écologique. L’hébergement des données sur le continent permet de réduire la latence, d’améliorer les performances des services numériques et de stimuler les écosystèmes tech locaux (startups, fintechs, e-administration).

Certains pays misent également sur des infrastructures vertes. En Afrique du Sud, le data center “Teraco Green Cloud” fonctionne déjà partiellement à l’énergie solaire, tandis qu’en Égypte, le projet “Digital Suez” vise à alimenter un hub de données à partir d’énergies renouvelables. Ces modèles combinent innovation et durabilité, deux priorités pour une Afrique en pleine transformation numérique.

Vers une alliance panafricaine du cloud souverain ?

L’idée d’un “cloud africain unifié” fait son chemin. Plusieurs institutions continentales — dont la Banque africaine de développement et la Commission économique pour l’Afrique — militent pour la création d’un réseau de clouds souverains interopérables, connectant les infrastructures nationales. Un tel projet permettrait de mutualiser les coûts, d’assurer la redondance des données et de renforcer la résilience face aux cybermenaces.

À terme, un Cloud panafricain pourrait devenir un atout stratégique majeur, facilitant les échanges intra-continentaux et soutenant les ambitions de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

L’enjeu d’une indépendance numérique durable

Dans un monde dominé par la donnée, le cloud souverain est à l’Afrique ce que les pipelines étaient au pétrole : une infrastructure vitale pour la croissance, la sécurité et l’autonomie. En investissant dans leurs propres infrastructures numériques, les États africains affirment leur volonté de ne plus être de simples consommateurs de technologies, mais des architectes de leur avenir numérique.

La route est encore longue — investissements, cadre légal, compétences locales —, mais la direction est claire : le contrôle des données, c’est le contrôle du futur. Et l’Afrique semble prête à relever le défi.

Sources : Smart Africa Alliance (octobre 2025), Union africaine, Banque africaine de développement, GSMA Africa, Liquid Intelligent Technologies, The Africa Report, Quartz Africa, Jeune Afrique Économie Digitale.

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