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Le « gouvernement numérique », un vecteur d’inclusion et de durabilité en Afrique

Dans les pays en développement, et notamment en Afrique, les avantages du « gouvernement numérique » se ressentent davantage à l’échelle individuelle que globale. Outre une efficacité et une transparence accrues, ces pays sont davantage à même de profiter des avancées liées à ce mode de gouvernance lorsqu’ils mettent en œuvre des projets plus inclusifs et plus durables. Pour cela, il leur incombe de combler les fractures numériques (en termes d’accès et de compétences), d’améliorer leurs cadres réglementaires, de rendre possible une concurrence plus intense sur leurs marchés et d’améliorer la redevabilité de leurs institutions.

L’importance du gouvernement numérique

Le recours aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) peut aider les gouvernements à assurer leur mission de façon plus efficace et plus directe. Dans un contexte de mondialisation et de développement technologique rapide, ceux-ci doivent en effet s’assurer de pouvoir répondre aux attentes et aux besoins en évolution constante de leurs citoyens. Ainsi, pour moderniser, concevoir, exploiter et fournir leurs services, la plupart des gouvernements ont déjà commencé activement à convertir l’intégralité de leurs systèmes et de leurs processus au numérique. En plus d’améliorer l’efficacité de leurs services, cela leur permet de réduire leurs coûts et de résoudre certaines de leurs difficultés actuelles (en rapport au climat, à la santé ou à l’éducation, par exemple). Bien sûr, les priorités diffèrent selon les pays.

Les débuts du gouvernement numérique, que l’on appelait alors « e-gouvernement », « administration électronique » ou encore « gouvernement électronique », remontent aux années 2000. À l’époque, il consistait majoritairement à recourir aux TIC en vue d’améliorer l’efficacité et l’accessibilité des services publics et la redevabilité des gouvernements. Il pouvait donc s’agir de publier des informations publiques en ligne, de mettre à disposition des services publics en ligne, d’encourager les citoyens à interagir avec les décideurs politiques ou encore, de leur permettre d’effectuer des transactions en ligne. Depuis, ce concept d’« e-gouvernement », devenu « gouvernement numérique », a évolué pour renforcer la gouvernance publique et accroître la protection des citoyens. Désormais, il recourt aux technologies numériques les plus récentes pour mettre à profit les données saisies, et ainsi améliorer la formulation des politiques publiques ainsi que les systèmes et les processus gouvernementaux.

Les organisations internationales reconnaissent les bénéfices de ce type de gouvernance, comme en attestent plusieurs directives et indicateurs de performance dont le Cadre de Référence de Gouvernement Numérique de l’OCDE, l’Indice de Développement de l’e-gouvernement et l’Indice d’e-participation en ligne des Nations Unies, ainsi que l’Indice d’Adoption du Numérique de la Banque mondiale.

Les apports possibles du gouvernement numérique pour les pays d’Afrique

Au XXIe siècle, c’est en Afrique que l’on a observé la croissance la plus importante en matière de taux de pénétration d’Internet : celle-ci a en effet bondi d’un quart entre 2005 et 2018, principalement en raison d’une forte hausse du taux de pénétration du haut débit mobile (de 38 % en 2017 à 87 % estimés d’ici 2025). Les TIC sont essentielles au développement économique à long terme de l’Afrique : en 2017, les technologies mobiles ont généré 7,1 % du PIB de l’Afrique subsaharienne. En outre, elles peuvent potentiellement contribuer à améliorer l’inclusion, la cohésion sociale et la durabilité environnementale de l’Afrique. Le développement de l’entrepreneuriat sur tout le continent africain, qui s’appuie sur des inventions technologiques prometteuses, le confirme également.

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C’est la raison pour laquelle, en vue de soutenir la révolution numérique qui s’accélère et de répondre le plus efficacement possible aux besoins des entreprises et des citoyens en pleine digitalisation, il est nécessaire que les gouvernements africains deviennent des acteurs à part entière du passage au numérique. La figure ci-dessous présente certains bénéfices spécifiques qu’une gouvernance numérique pourrait apporter aux États africains (Error: Reference source not found).

La suite de cet article se consacre à l’analyse de ces bénéfices.

Une efficacité améliorée

La conséquence la plus visible de la transformation numérique est sans doute l’amélioration de l’efficacité des services publics rendus aux citoyens. Les TIC aident à réduire la charge administrative et améliorent la prestation de services, en les rendant immédiatement accessibles aux personnes situées dans les régions les plus reculées, ce qui diminue les délais et les coûts d’exploitation. Selon le « Digital Efficiency Report », un rapport sur l’efficacité du numérique réalisé en 2012 par le gouvernement britannique, les transactions numériques coûteraient 50 fois moins que celles effectuées en personne.

Une analyse de données de panel menée entre 1995 et 2015 montre que les TIC exercent un effet positif et statistiquement significatif sur la gestion du secteur public en Afrique. L’amélioration de l’accès à l’information constitue une étape importante vers un gouvernement plus ouvert et plus transparent, ce qui peut ensuite renforcer la confiance du public dans les institutions gouvernementales. En réalité, les utilisateurs de services d’e-gouvernement perçoivent mieux qu’avant leur relation de pouvoir avec le gouvernement.

En plus des avancées destinées au public, un gouvernement numérique permet d’utiliser des solutions TIC en interne pour mieux gérer et analyser des volumes de données importants. L’amélioration de la communication et de l’accès à l’information en interne qui en découle réduit les silos au sein des différentes institutions gouvernementales. Les administrations peuvent alors collaborer et poursuivre des objectifs communs.

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Amélioration de la transparence, de l’ouverture et de l’engagement

Disposer de systèmes publics transparents et ouverts peut contribuer à réduire la corruption et à rendre les gouvernements plus redevables vis-à-vis de leurs citoyens. Elbahnasawy a mis en évidence que l’e-gouvernement et l’adoption d’Internet constituent des outils puissants pour réduire la corruption.

Par ailleurs, les pôles d’innovation ouverte rencontrent depuis peu un grand succès en Afrique. Le partage des connaissances entre membres de la société civile et des communautés, universités, start-ups et petites entreprises, gouvernement et fondations privées, se traduit par une prise de décision distributive, participative et décentralisée en matière de politiques publiques. Les citoyens peuvent également avoir l’opportunité de participer activement à résoudre des problèmes aux côtés du gouvernement, en prenant part à différents concours financés par des fonds. Cela s’effectue en cohérence avec l’Open Government Data (OGD) et les services centrés sur les citoyens.

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Un succès limité en Afrique

Jusqu’à présent, les initiatives de mise en place d’un gouvernement numérique ont connu un succès limité dans les pays africains (35 % des tentatives se sont révélées être des échecs complets). Par exemple, un projet d’e-gouvernement en Afrique du Sud, portant sur un système d’informations sur les autorisations d’utilisation des sols, a été abandonné car il entrait en conflit avec les intérêts des groupes au pouvoir. En conséquence, le programme n’a pas pu être maintenu et n’a jamais été utilisé. De tels projets ont rencontré certains obstacles lors de leur mise en œuvre et, pour ceux qui l’ont été, la durabilité et l’inclusion ont pu faire défaut. Ils ont également creusé les inégalités existantes, telles que la fracture numérique et la liberté d’information.

En premier lieu, dans les pays en développement, le gouvernement numérique peut rencontrer des obstacles à sa mise en œuvre pour plusieurs raisons.

Des raisons politiques. Étant donné le lien de causalité réciproque entre services TIC et gestion du secteur public, la stabilité et la prévisibilité de l’environnement politique jouent un rôle absolument essentiel dans l’instauration d’un gouvernement numérique.

Des raisons techniques. Bien que de nombreux pays en développement souhaitent adopter un système de gouvernement numérique, il arrive souvent qu’ils ne possèdent pas les infrastructures nécessaires pour que les services en question soient effectivement utilisés. Les enjeux de vie privée et de sécurité sont également à prendre en compte. Cependant, dans ces pays, les réglementations en matière de sécurité informatique en sont encore à leurs débuts et les capacités à déployer des réponses efficaces sur le sujet sont faibles.

Des raisons financières. Les services de gouvernement numérique sont généralement coûteux à mettre en place et nécessitent des investissements à court terme importants, tout en générant des économies immédiates limitées. Par conséquent, investir dans cette forme de gouvernement ne constitue pas forcément une priorité pour les pays en développement, confrontés à des problèmes plus urgents, tels que l’amélioration des systèmes d’éducation et de santé, le manque d’équipements sanitaires et l’instabilité en matière d’ordre public et de législation.

Une forme de résistance. Il arrive que les employés du secteur public résistent à ce changement par crainte qu’il ne réduise leur degré de contrôle et leur pouvoir. S’adapter à de nouvelles méthodes de travail peut prendre du temps. En outre, dans de nombreux pays, il est courant de faire ses transactions en personne plutôt qu’à distance, ce qui n’offre pas des conditions optimales pour la mise en œuvre de programmes d’e-gouvernement. Les outils numériques souffrent de ce même manque de confiance.

En deuxième lieu, même lorsqu’un projet de gouvernement numérique a été effectivement déployé dans un pays en développement, les décalages entre réalité actuelle et conception du futur système risquent de mettre sa longévité en péril. Ces décalages sont de trois types :

  • un décalage matériel/immatériel, lorsque les enjeux humains ne sont pas pris en compte dans la conception d’un projet (manque de formation, de compétences et effets sur la gestion) ;
  • un décalage public/privé, lorsque l’externalisation de la conception des logiciels au secteur privé crée un déséquilibre ou lorsque le secteur public finit par dépendre d’investissements privés, ce qui fait que quand le financement cesse, il n’y a plus assez de fonds pour soutenir le projet ;
  • un décalage lié au contexte national, lorsque des solutions issues d’un pays développé sont appliquées à un pays en développement, avec un risque d’échec dû aux différences de cultures, de compétences et d’accès aux technologies et aux infrastructures.

Parfois, le gouvernement numérique lui-même accentue les inégalités en renforçant les fractures numériques existantes, autrement dit : le décalage entre ceux qui ont accès à Internet et ceux qui n’y ont pas accès. Outre l’accès technique, on observe également des décalages en termes d’accessibilité économique (riches/pauvres), d’âge (jeunes/vieux), de lieu de vie (ville/campagne) ou de compétences numériques (littératie/inaptitude à manier les outils numériques). Bien évidemment, ceux qui en souffrent ne profiteront pas des avantages des systèmes de gouvernement numérique et des différentes opportunités économiques que ceux-ci peuvent générer.

Enfin, il arrive que le gouvernement numérique accroisse l’asymétrie d’information. La littérature universitaire souligne que lorsque de nouvelles TIC sont introduites dans les pays en développement dans le cadre de programmes de gouvernement numérique, la qualité de l’archivage des documents se détériore, ce qui a pour effet de restreindre la liberté d’information des citoyens. Exemple en Inde, où, en 2014, les fonctionnaires du gouvernement n’ont pas pu répondre à une demande d’information parce qu’ils avaient supprimé environ 11 000 fichiers lors du transfert des données vers un système en ligne.

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