Et si ton application météo, ta montre connectée et ton jeu préféré formaient un club secret… qui t’espionne ? Que tu le veuilles ou non, tes applis glanent des informations — parfois très intimes — pendant que tu swipe et souris.
Dans un monde où la plupart d’entre nous ont environ 30 applis téléchargées sur leur téléphone et passent en moyenne 3 h 30 par jour dessus, l’écosystème mobile est devenu une mine d’or pour la publicité ciblée, les courtiers en données et les développeurs à la recherche d’insights. Ces usages massifs expliquent pourquoi les autorités européennes et nationales multiplient mises en garde et rapports sur la collecte massive d’informations personnelles. (CNIL)
Le premier mécanisme est aussi banal qu’efficace : les permissions. Quand une application demande l’accès à ta localisation, à ton micro ou à ta caméra, elle obtient souvent plus que l’option annoncée. En coulisses, des SDK publicitaires, des trackers et des pixels tiers sondent ton appareil, récupèrent l’identifiant publicitaire et transmettent des flux de données à des brokers qui peuvent recouper et revendre ces traces. Résultat : ton chemin quotidien, tes achats, tes centres d’intérêt et parfois même des inférences sensibles (âge, genre, préférences) se retrouvent agrégés ailleurs. Des études et organisations de défense de la vie privée alertent sur ces circuits opaques de données. (Electronic Frontier Foundation)
Autre astuce — plus invisible : le fingerprinting et la télémétrie. Même quand tu désactives les cookies ou refuses certaines permissions, des éléments techniques comme la configuration de ton navigateur, la résolution d’écran, les bibliothèques installées ou les requêtes réseau forment une “empreinte” quasi unique. Les plateformes et annonceurs peuvent ainsi reconnaître ton appareil au fil du temps sans jamais demander explicitement ton nom. Parallèlement, certaines applis continuent d’émettre des paquets de données en arrière-plan — tandis que tu ne les utilises pas — pour synchroniser des profils ou alimenter des algorithmes publicitaires. (Consumer Advice)
La troisième méthode, moins technique mais tout aussi efficace, repose sur l’écosystème : les courtiers en données rachètent et croisent des jeux d’informations. Ils agrègent les signaux venant d’applis de fitness, de navigation, de shopping et de services, puis les revendent à des annonceurs, des assurances, voire des acteurs publics. Des rapports montrent que des millions de profils de localisation et de comportements sont compilés et commercialisés, parfois sans consentement véritable des personnes concernées. Ces marchés opaques expliquent aussi pourquoi des régulateurs multiplient les sanctions et recommandations. (Electronic Frontier Foundation)
Les conséquences sont réelles : des fuites massives de données, des usages détournés et une perte de contrôle sur notre portrait numérique. En France, par exemple, la CNIL a relevé une augmentation notable des violations de données, signe que les pratiques de collecte et de circulation des informations posent des risques opérationnels et juridiques pour les acteurs. Pendant ce temps, des études sectorielles pointent que des applis — notamment certaines applis de fitness — partagent des données avec des tiers dans une large proportion des cas, y compris des données sensibles. (CNIL)
Que faire sans sombrer dans la paranoïa ? Quelques gestes simples réduisent drastiquement l’exposition : vérifier et restreindre les permissions, privilégier des applis payantes et transparentes, utiliser les réglages de confidentialité des stores, et installer des outils de protection comme des bloqueurs de trackers. Mais la responsabilité dépasse le simple utilisateur : il faut des labels clairs, des contrôles réglementaires renforcés et plus de transparence de la part des plateformes et des courtiers pour que l’équilibre entre innovation et vie privée soit restauré.
En Afrique comme ailleurs, la question est urgente : la forte pénétration mobile offre des opportunités d’innovation (services financiers, santé, éducation) mais expose aussi les populations à des transferts de données internationaux et à des risques de profilage. Les initiatives locales en matière de souveraineté numérique et de protection des données pourraient devenir des leviers importants pour une adoption responsable des technologies mobiles.
Au final, la collecte de données par les applis n’est ni magique ni accidentelle : elle résulte d’un modèle économique bâti sur la publicité et la monétisation des comportements. La vraie question n’est plus tant « comment » tes applis te pistent, mais « jusqu’où » nous voulons laisser ces circuits opérer sans garde-fous.
Sources : CNIL — « Applications mobiles : votre vie privée devra être mieux protégée » (2024), Rapport annuel CNIL 2024, EFF — Location Data Brokers, FTC / enquêtes sur la surveillance des réseaux sociaux, Time, études sectorielles (Surfshark).