A la Une Interview

Florent YOUZAN, Directeur du Lab Innovation Afrique du Groupe Société Générale, « Le financement est aujourd’hui très important pour permettre aux start-ups d’avancer »

Le Salon International des Professionnels du Numérique (SIPEN) de Dakar est le grand rendez-vous annuel des acteurs du privé et public du domaine. C’est aussi une opportunité pour les porteurs de projet de se trouver des financements. Qui parle de financement, parle en général de banque ; pour cette 4ème édition du SIPEN Dakar, le Groupe Société Générale était présent. Une occasion pour notre magazine de s’entretenir avec un représentant de ladite banque.

TIC MAGAZINE BF : Pouvez-vous vous présenter ?

Florent Youzan : Je suis Florent Youzan je suis le Directeur du LabInnovation Afrique du Groupe Société Générale. Nous sommes basés à Dakar et nous intervenons dans les 19 filiales Société Générale en Afrique. Et cela fait 3 ans que le laboratoire a été créé précisément en février 2016 par la volonté du Groupe Société Générale de déployer toute une stratégie d’innovation en Afrique à travers une fenêtre de l’open innovation sur l’écosystème des start-ups, des innovateurs et des entrepreneurs africains, afin de répondre par des solutions tactiques aux besoins identifiés dans les filiales du Groupe en Afrique.

Une stratégie d’innovation basée sur deux axes spécifiques : l’intelligence collective et l’Open innovation.  Le Lab Innovation Afrique a pour vocation de stimuler et d’accélérer l’innovation au sein de toutes les filiales d’Afrique. Ce « laboratoire d’idées », tourné vers l’action, sert d’incubateur pour des initiatives innovantes, notamment celles qui naissent dans les filiales de Société Générale sur le continent. C’est un véritable pont entre les start-ups, l’écosystème des communautés ascendantes et les filiales africaines. Avec ce laboratoire, Société Générale veut mesurer sa capacité à innover, en étant capable de tenter de nouveaux usages et de s’adosser à un certain nombre de start-ups innovantes pour les tester.

Cela fait 3 ans que nous existons et nous travaillons énormément avec des start-ups, pas que sénégalaises. Nous travaillons avec des start-ups d’Afrique sub-saharienne, des start-ups du Maghreb et même des start-ups de l’Inde. L’idée c’est de pouvoir capitaliser sur la capacité et l’agilité des start-ups  afin de nous permettre d’accélérer la transformation de notre organisation dans une démarche ambidextre : exceller dans notre métier actuel de banque traditionnelle tout en préparant la banque du futur.

TM : A ce jour, combien de start-ups avez-vous accompagné en moyenne ?

FY : Disons que nous avons travaillé avec plusieurs start-ups. Je vais essayer de vous faire rapidement le point sur les start-ups qui nous ont accompagnés sur des projets spécifiques que nous avons déployés dans les filiales. Aujourd’hui, nous avons environ une vingtaine de start-ups avec lesquelles nous avons collaborés dans la co-construction de solutions et d’applications  spécifiques pour nous permettre de résoudre nos besoins en interne. Et ces applications sont des applications mobiles, des applications web, des applications de comptabilité simplifiée, des applications de gestion de Ressources Humaines, des applications de mobile learning, des applications qui nous permettent de réinventer l’expérience client en agence et des applications d’amélioration de la satisfaction client, mais aussi des services financiers et non financiers. Toutes ces start-ups nous accompagnent aujourd’hui dans notre transformation digitale.

TM : Parmi ces start-ups qui vous ont accompagné, certaines sont-elles devenues de grandes entreprises ?

FY : Cela fait juste 3 ans que nous avons commencé et pour la plupart des start-ups qui nous accompagnent c’est environ 2 ans de collaboration. Mais ce dont nous sommes fiers, c’est que ces start-ups continuent d’avoir des marchés auprès de Société Générale et d’autres entreprises. Ce qui veut dire que nous avons eu raison de faire confiance à ces start-ups, et à qui nous avons permis  d’accéder à un premier marché chez Société Générale et cela leur permet de crédibiliser leurs actions auprès d’autres clients. Pour nous, c’est une fierté et nous espérons que dans les prochaines années ces start-ups deviendront de grandes entreprises.

Une chose importante à savoir, nous avons évalué aujourd’hui la pertinence d’accompagner ces start-ups et aussi les PME, et c’est pourquoi la Société Générale a créé au Sénégal, au Burkina Faso, au Ghana et bientôt en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Cameroun et à Madagascar, une maison de la PME. Cette maison de la PME que nous créons dans chaque pays se présente comme un guichet unique qui rassemble plusieurs partenaires privés et publics qui interviennent dans la vie de la PME et qui pourraient désormais offrir des services d’accompagnement à la start-up depuis l’idée, et la formalisation de la start-up jusqu’à son expansion en passant par le financement et la formation. C’est parce que nous avons compris dans notre collaboration avec les start-ups qu’il fallait à un moment donné les accompagner autrement. On leur donne accès à des marchés donc elles ont des contrats commerciaux mais il faut aussi que ces start-ups arrivent à s’organiser, à accéder à un accompagnement plus pointu et structuré, et accéder aussi aux financements. Ce qui est bien c’est que ces maisons de la PME sont portées par une grande banque comme Société Générale, qui offre un parcours à la PME, un parcours dans lequel se trouve le financement ;  et ça c’est le nerf de la guerre. Le financement est aujourd’hui très important pour permettre aux start-ups d’avancer et Société Générale a dégagée plusieurs montants pour accompagner ces start-ups et les PME africaines en créant les maisons de la PME.

TM : Est-ce que vous pouvez nous dire à combien s’élève le montant global ?

FY : Je ne pourrai pas vous dire le montant global du projet de création des maisons de la PME by Société Générale, mais ce projet s’inscrit dans un engagement de croissance durable de Société Générale avec l’Afrique via le projet  Grow WITHAfrica (Grandir avec l’Afrique).

L’initiative Grow WITH Africa a vocation à contribuer collectivement au développement durable de l’Afrique, en partenariat avec les territoires et acteurs locaux aussi bien que des experts internationaux, en instaurant dialogue, écoute et partage des moyens et approches innovantes.

Cette initiative, qui intègre la déclinaison des Objectifs de Développement Durable de l’ONU sur le continent, vise également à favoriser l’expérimentation locale avec un objectif de « duplicabilité » dans plusieurs pays, et à industrialiser les projets réussis grâce à une démarche d’amélioration continue et une entière transparence des résultats entre les partenaires du programme. Société Générale a identifié 4 axes de développement qui peuvent devenir des moteurs de croissance pour des secteurs plus larges à l’avenir, qui s’enrichissent mutuellement dans une efficacité opérationnelle : l’accompagnement des PME,  les secteurs agricoles et l’énergie, les financements des infrastructures, et l’inclusion financière.

TM : A combien peut s’élever un financement de la Société Générale pour une start-up ?

FY : En fait ce que nous faisons en ce moment via le Lab Innovation Afrique, ce n’est pas du financement en direct, c’est du financement sous forme de prestation. C’est-à-dire que la start-up qui a son idée, nous lui disons, « nous voulons déployer ton idée en interne, il te faut combien de jours, combien de personnes pour développer cela et à combien tu vas nous facturer le développement et le déploiement ? ». Si vous voulez c’est un financement mais sous forme de prestation, et la start-up travaille pour nous et avec nos experts métiers et elle est payée pour  cette prestation d’accompagnement. Nous avons par exemple des projets qui vont au-delà d’une simple consultation,  et des start-up ont réussi à nous  facturer le développement, l’implémentation et le déploiement de certaines solutions à 17 millions de Francs CFA.

Les coûts d’accompagnement peuvent  varier selon la structure, la complexité et l’étendu des projets, et nous pouvons partir  sur des accompagnements de 10 millions, de 15 millions, de 20 millions, et même de 1 million. Si par exemple, une start-up a juste besoin de 1 million pour concevoir son prototype comme c’est le cas  pour une start-up au Cameroun que nous accompagnons et qui doit concevoir un prototype pour permettre de faire de l’arrosage, de l’irrigation automatique, nous assurons un accompagnement contextuel. Son prototype ne fait qu’un million alors nous l’accompagnons et le Lab Innovation accompagne aujourd’hui cette start-up, avec laquelle nous avons déjà signé le contrat pour l’aider à concevoir son prototype.

La seule manière de savoir que son projet va réussir c’est de l’aider à faire son prototype. Tant qu’elle n’a pas fait son prototype, elle ne peut pas savoir si ça marche ou pas. Si le prototype est bien fait et que l’on sait qu’il peut  permettre d’avoir accès à un business, et créer de la valeur économique, nous pouvons passer à une autre étape d’accompagnement qui donnera lieu à un autre type de contrat.  Vraiment, tout varie,  nous avons des accompagnements de 1 million, de 5 millions, de 10 millions, de 15 millions, tout dépend de la structure et de la complexité du projet.

TM : Vous qui accompagnez la start-up, quelles sont les difficultés qui reviennent en général ?

FY : D’abord, il faut dire que travailler avec les start-ups n’est pas toujours facile. En fait, ce sont de jeunes entreprises qui ne sont pas très souvent bien organisées donc à un moment donné nous sommes obligés de montrer à ces start-ups comment travailler avec un grand groupe. Et quand une petite structure doit travailler avec des filiales, et qu’elle n’est pas par exemple très bien organisée, c’est très compliqué pour le grand groupe. Comme par exemple une start-up donne un délai, je vous livre telle application tel jour ou je vous livre telle fonctionnalité tel jour et qu’elle n’arrive pas à respecter le délai, c’est un peu compliqué pour nous.

Ce sont des difficultés en termes d’organisation, d’engagement et souvent ces start-ups ne sont pas très bien structurées. Il faut les aider à mieux se structurer, à choisir des priorités dans la collaboration qu’elles ont, les aider à respecter la parole donnée, à respecter leurs agendas et aussi les aider à apprendre à apprendre. Parce que souvent, elles ont une compétence qui est leur cœur de métier et leur capacité à développer des applications mobiles et  les relations avec les filiales Société Générale  peuvent nécessiter d’autres compétences. Soit tu apprends à le faire soit tu te fais aider par quelqu’un d’autre. C’est ce genre de problème qu’on a avec les start-ups mais pour la plupart ça se passe très bien et aujourd’hui nous ne percevons pas cela comme un problème. Nous nous disons qu’il faut que l’on prenne cela comme des engagements que l’on prend vis-à-vis de la start-up, et il faut qu’on l’aide à s’améliorer sinon elle n’aura pas bénéficié de la collaboration avec  un grand groupe comme Société Générale. Il faut aider les start-ups à grandir et c’est un peu ça aussi notre rôle.

TM : Votre dernier mot à l’endroit de tous ceux qui veulent se lancer dans l’entreprenariat ?

FY : Aujourd’hui il faut qu’on change de perception sur l’avenir qu’on offre à la jeunesse africaine. Ça fait trop longtemps qu’on lutte contre le chômage, et tant qu’on ne changera pas de perception sur l’avenir qu’on veut offrir à la jeunesse, on continuera à lutter contre le chômage. Il n’y aura jamais suffisamment d’emploi pour tout le monde mais il y aura du travail pour chacun.

Celui qui n’a pas eu la chance de trouver un emploi qu’il crée son propre travail. L’entreprenariat  n’est pas la voie principale pour tout le monde mais celui qui n’a pas la chance d’avoir un emploi, qu’il ne se décourage pas, il peut lui-même créer son propre travail. Il faut juste qu’il regarde les problèmes que nos parents vivent chaque jour et qu’il essaie de résoudre un de ces problèmes. S’il a résolu ce problème pour une personne, il peut résoudre ce même problème pour 2, 3 personnes et en faire un produit qu’il pourra vendre. Pendant longtemps, l’Afrique a vécu dans un mode de survie, ce mode de survie est devenu un modèle de vie. Cette capacité de résilience créative, nos jeunes doivent l’intégrer, et considérer nos problèmes aujourd’hui comme des opportunités pour nous et il faut qu’on se dise que c’est à nous de résoudre nos problèmes par notre intelligence, par notre culture, et par notre connaissance même de notre territoire.

Si on n’arrive pas à avoir de l’emploi, il faut qu’on crée du travail. Tout le monde n’est pas appelé à travailler dans un bureau mais le numérique nous donne aujourd’hui une chance. On peut travailler depuis n’importe où, le numérique peut nous permettre de travailler depuis la maison, de rester en Afrique et travailler sur des missions en Europe. Le numérique peut nous permettre de prendre le problème d’un africain et le résoudre via une application mobile. Le numérique peut nous permettre de faire beaucoup de choses, c’est une chance, c’est une aubaine qu’il faut saisir. Alors, nous devons allier entreprenariat et numérique pour créer chez chaque jeune africain de l’émergence économique  pour qu’il soit enfin libre. Parce qu’on subit trop le poids du chômage en Afrique et du coup on apprécie mal les opportunités qui s’offrent à nous. Je me dis aujourd’hui que nos problèmes sont une opportunité, le numérique et le digital sont aussi une opportunité, essayons d’allier cela et vous aller voir qu’on va arriver à créer de l’emploi pour la jeunesse.

TIC MAGAZINE BF

ARTICLES SIMILAIRES

Laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient. Accepter En savoir plus

NEWSLETTER

Inscrivez-vous et recevez régulièrement des arletes par mail

Vos informations ne seront pas partagées