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Internet : « La 5G ne doit pas être la priorité des opérateurs »

Prônant des politiques plus ambitieuses sur le haut débit et une régulation plus transparente, l’Alliance for Affordable Internet salue les efforts du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, loin devant la RDC en matière d’accessibilité à internet.

Un gigabit de data mobile ne devrait pas coûter plus de 2 % des revenus mensuels moyens nationaux, estime la Commission des Nations Unies pour le haut débit. Si elle est encore loin du compte, l’Afrique est néanmoins sur la bonne voie puisqu’elle enregistre la plus grande avancée en matière de réformes et d’investissements dans la connectivité, note l’Alliance for Affordable Internet (A4AI).

Chaque année, l’initiative hébergée par la Web Foundation et dirigée par Sonia Jorge livre les résultats de son indice des facteurs d’accessibilité à internet (ADI), défini selon divers critères allant de la qualité des politiques publiques en faveur du haut débit à la régulation, en passant par l’équipement des pays en infrastructures de réseau.

Directeur de recherche pour l’A4AI, Teddy Woodhouse dresse la liste de ce qu’il reste à bâtir pour que l’Afrique parvienne à fournir un internet fiable, résilient et abordable à ses habitants.

Jeune Afrique : Votre rapport souligne que l’ADI de l’Afrique a progressé de 7 points par rapport à 2019. Quand pensez-vous que l’internet continental atteindra des prix raisonnables ?

Teddy Woodhouse : Je dirais que c’est une question d’années, en particulier pour les pays qui sont les plus éloignés de l’objectif, comme la République centrafricaine ou la RDC, où les prix sont extrêmement élevés. Dans ces zones, le prix d’un gigabit peut représenter dix fois le revenu mensuel moyen national.

Tout repose donc sur le type de politique que les gouvernements voudront bien mener. C’est pour cela que nous mettons l’accent cette année sur le besoin de définir des plans de développement du haut débit à long terme. C’est un choix qui nous paraît pertinent, de surcroît en cette période de pandémie.

Avec un indice de 20,2 sur une échelle de 100, la RDC semble effectivement à la peine. Qu’est-ce qui freine le développement du haut débit dans ce pays ?

C’est une combinaison de facteurs. Il est généralement plus difficile d’installer et de maintenir un réseau dans les régions vastes et pauvres car la rentabilité pour les opérateurs est moins intéressante. Dès lors, les États sont obligés d’être plus incitatifs et de fonctionner avec des partenariats public-privé.

Le Sénégal et la Côte d’Ivoire se distinguent par leur capacité à réunir des fonds

Cela crée parfois un cercle vicieux où le gouvernement ne dispose pas des compétences nécessaires pour réguler le secteur, donc peine à concevoir une autorité digne de confiance, à prendre des décisions justes et surtout à éliminer la corruption. Nous voulons montrer qu’il est possible de briser cette spirale infernale grâce à la définition de plans nationaux de haut débit sur le long terme.

Il existe pourtant une réelle volonté politique en RDC puisqu’un plan national du numérique a été défini en 2019. Pensez-vous que le pays est malgré tout sur la bonne voie ?

Nous voyons donc un début de trajectoire positive mais il reste encore beaucoup à faire. Et ce n’est que la deuxième année que nous incluons ce pays dans notre index. Nous ne disposons pas du recul suffisant pour distinguer une vraie tendance.

La 5G ne doit pas être la priorité des opérateurs

Qui sont les bons élèves de la connectivité dans l’espace francophone ?

Le Sénégal et la Côte d’Ivoire se distinguent par leur capacité à réunir des fonds, ce qui est l’une des étapes les plus difficiles.

Dans ces deux pays, les gouvernements sont impliqués en faveur de la construction et de l’amélioration des réseaux intermédiaires, appelés backhaul, qui sont incontournables pour le développement d’une connexion de qualité et, à plus long terme, pour le développement d’une économie numérique.

De nombreux tests de la 5G ont lieu actuellement à travers le continent. Quelle sera l’utilité de cette technologie alors même que les opérateurs peinent à basculer leurs utilisateurs sur la 4G ?

Il doit y avoir de la place pour l’innovation et l’expérimentation, mais ce ne doit pas être la priorité des opérateurs. Pour l’instant, les projets sont concentrés sur les zones urbaines, ce qui peut être une bonne chose.

Mais concernant la problématique de l’accès universel et de la couverture des zones rurales, je ne pense pas que la 5G fasse partie de la solution. Nous plaidons pour une connexion utile, donc pour une couverture 4G universelle dans un premier temps. C’est un objectif plus réaliste sur le plan géographique.

Le prix du spectre de licences est le levier qui influence le plus le reste du business model d’un opérateur

Quel serait selon vous le meilleur modèle de financement et de gestion pour les backbones de fibre optique ?

Dans notre rapport de l’an passé, nous avions mis l’accent sur la concurrence et sur l’importance d’avoir des capitaux divers (gouvernementaux et privés ou issus des fonds de service universel).

La tendance actuelle met en avant le modèle du partenariat public-privé qui est capable d’exploiter le meilleur des deux secteurs. Il permet au gouvernement de se concentrer sur ses objectifs sociaux en définissant un cadre et des objectifs tandis que les opérateurs se concentrent sur les zones rentables. Il y a un bénéfice sur le long terme du fait de la construction de la confiance entre les deux parties.

Vous mettez l’accent dans votre rapport sur le besoin de transparence des processus d’attribution de spectre de fréquences. Pourquoi est-ce si important ?

Le spectre est ce qui coûte le plus cher aux opérateurs mobiles. En particulier sur le continent africain, c’est le levier qui influence le plus le reste du business model d’un opérateur. Dans les régions où vous n’avez pas de transparence sur le coût et les conditions d’accès au spectre, vous avez plus de risque de favoritisme envers un opérateur plutôt qu’un autre, ce qui crée un déséquilibre dans la concurrence.

Dans des pays qui cherchent à capter d’importants revenus de la part des télécoms, les licences de spectres sont de véritables vaches à lait. Ils définissent des prix de réserves exorbitants auxquels seules les plus importantes entreprises peuvent accéder. La transparence crée une balance entre ce besoin de revenus et les bénéfices à long terme d’une concurrence saine.

Source: Jeune Afrique

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