Et si la véritable indépendance africaine passait désormais par les nuages ? À l’heure où la donnée est devenue la ressource la plus stratégique du XXIe siècle, la question de son hébergement et de sa protection devient cruciale. Face à la domination des géants américains et chinois du cloud, de plus en plus de pays africains misent sur le cloud souverain — une infrastructure locale et sécurisée permettant de stocker et gérer les données à l’intérieur du continent. Objectif : renforcer la souveraineté numérique, garantir la sécurité nationale et stimuler l’innovation locale.
L’Afrique à l’ère de la souveraineté numérique
Le continent africain connaît une explosion sans précédent des données. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), le volume de données générées en Afrique devrait être multiplié par cinq d’ici 2030, porté par la croissance du mobile, des plateformes de e-commerce, des administrations digitales et des services financiers. Or, la majorité de ces données — qu’il s’agisse de celles des citoyens, des entreprises ou des gouvernements — est encore hébergée sur des serveurs situés à l’étranger, notamment en Europe ou aux États-Unis.
Cette dépendance pose des risques majeurs : fuite d’informations sensibles, exposition à des législations extraterritoriales (comme le Cloud Act américain), vulnérabilité face aux cyberattaques et perte de contrôle sur les flux numériques. Dans un contexte géopolitique tendu et face à la multiplication des cybermenaces, les clouds souverains apparaissent comme une réponse stratégique pour reprendre la maîtrise des données africaines.
Définir le cloud souverain africain
Un cloud souverain n’est pas seulement un centre de données local. Il s’agit d’une infrastructure informatique opérée selon les lois nationales, protégée par des standards de cybersécurité et de confidentialité stricts, et dont la gouvernance appartient à des acteurs publics ou privés africains. En clair, c’est une alternative locale aux géants du cloud comme Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud ou Huawei Cloud.
Son objectif est double : assurer la sécurité des données sensibles (gouvernementales, financières, médicales…) et stimuler l’économie numérique en offrant des services cloud accessibles, fiables et conformes aux exigences réglementaires africaines.
Des initiatives qui se multiplient sur le continent
Plusieurs pays africains ont déjà engagé des projets de cloud souverain. En 2025, le Rwanda, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud figurent parmi les pionniers.
Le Rwanda National Cloud, inauguré en 2024 à Kigali, héberge désormais les plateformes de e-gouvernement et de services publics, garantissant que les données des citoyens restent sur le territoire national. En Côte d’Ivoire, le Cloud Ivoire — piloté par l’Agence nationale du service universel des télécommunications (ANSUT) — offre une infrastructure souveraine dédiée à l’administration publique et aux startups locales. De son côté, le Maroc a lancé le Maroc Cloud Souverain, en partenariat avec la société marocaine MedTech et Huawei, pour centraliser les données gouvernementales et soutenir la transition numérique du pays.
Ces initiatives traduisent une conviction : sans infrastructures locales robustes, il n’y a pas de souveraineté numérique réelle.
Un enjeu stratégique pour la sécurité et la confiance
La cybersécurité est désormais au cœur des politiques publiques africaines. Le continent a connu une hausse de 45 % des cyberattaques entre 2023 et 2024, selon Kaspersky Africa. Les administrations, banques et entreprises locales deviennent des cibles privilégiées. Les clouds souverains permettent non seulement de réduire la dépendance aux serveurs étrangers, mais aussi de mieux contrôler les protocoles de sécurité et les accès aux données sensibles.
En hébergeant les données sur le territoire national, les États peuvent imposer leurs propres normes de cryptage, auditer les infrastructures et réagir plus rapidement en cas d’incident. De plus, ces clouds favorisent la confiance numérique, indispensable à l’adoption des services en ligne par les citoyens. Dans des domaines sensibles comme la santé, l’éducation ou la justice, cette confiance devient un levier majeur de transformation digitale.
Un levier d’innovation et de croissance locale
Au-delà de la sécurité, les clouds souverains ouvrent des perspectives économiques considérables. Ils permettent aux startups africaines d’accéder à des services cloud abordables, compatibles avec les régulations locales, sans dépendre entièrement de fournisseurs étrangers.
Selon la Banque africaine de développement (BAD), le développement de clouds souverains pourrait générer plus de 300 000 emplois directs et indirects d’ici 2030, dans les domaines du développement logiciel, de la cybersécurité, de la gestion de données et de la maintenance d’infrastructures numériques.
De plus, les clouds souverains favorisent l’interopérabilité régionale. Des projets panafricains, comme celui de Smart Africa Alliance, visent à créer un “Cloud africain interconnecté”, facilitant la collaboration entre États et entreprises, tout en respectant les souverainetés nationales. Cette approche mutualisée permettrait de réduire les coûts, d’harmoniser les normes et de renforcer la résilience du continent face aux cyberrisques globaux.
Les défis à surmonter
Le développement des clouds souverains africains n’est pas sans obstacles. D’abord, la question du financement : construire et maintenir un centre de données de niveau mondial nécessite des investissements massifs, souvent supérieurs à 50 millions de dollars par site. Ensuite, la formation des talents : le continent manque encore de spécialistes en architecture cloud, en cybersécurité et en gouvernance des données. Enfin, la fiabilité énergétique reste un défi majeur : l’alimentation continue des data centers dépend de sources d’énergie stables et durables, encore insuffisantes dans plusieurs pays.
Mais ces défis ne sont pas insurmontables. L’essor des partenariats public-privé et l’émergence de solutions hybrides — combinant clouds publics et clouds souverains — permettent aux pays africains d’avancer à leur rythme, sans se couper des innovations globales.
Vers une souveraineté numérique africaine assumée
Les clouds souverains incarnent une vision ambitieuse : celle d’une Afrique maîtresse de son destin numérique. Dans un monde où la donnée est synonyme de pouvoir, l’enjeu dépasse la technique pour devenir politique et économique. En investissant dans ces infrastructures, les États africains posent les fondations d’un avenir numérique indépendant, sécurisé et durable.
Comme le souligne Angela Wamola, directrice Afrique de la GSMA : “La souveraineté numérique n’est pas une fermeture, c’est une capacité à choisir librement où et comment nos données sont protégées.” L’Afrique du futur ne se contentera pas d’être connectée : elle sera souveraine, intelligente et confiante dans son propre cloud.
Sources :
Union africaine – Stratégie pour la souveraineté numérique (2025) ; GSMA Africa Data Infrastructure Report ; Banque africaine de développement (BAD) – “Digital Africa Outlook 2025” ; Smart Africa Alliance ; Kaspersky Africa Cybersecurity Index ; Jeune Afrique Tech ; CIO Mag ; TechCabal.