Et si la richesse de demain ne reposait plus sur le pétrole, mais sur les données ? En Afrique, un continent longtemps considéré comme simple consommateur numérique, une nouvelle génération de startups transforme désormais les données en véritable ressource stratégique. Agriculture, santé, finance, énergie, logistique : partout, l’exploitation intelligente de la donnée devient le moteur d’une économie numérique en plein essor.
Longtemps sous-estimée, la valeur économique de la data africaine attire aujourd’hui l’attention des investisseurs mondiaux. Selon le cabinet Briter Bridges, le marché africain de la donnée et de l’analyse numérique pourrait dépasser 10 milliards de dollars d’ici 2030, soutenu par la montée en puissance du cloud, de l’intelligence artificielle et de la connectivité mobile. Dans un continent où plus de 1,4 milliard de personnes génèrent chaque jour des données à travers les téléphones, les paiements mobiles et les plateformes sociales, les opportunités sont immenses — à condition de savoir les exploiter.
Les startups africaines à la conquête de la donnée locale
Les pionniers de cette révolution ne viennent pas des multinationales, mais des startups locales. Au Kenya, Oko Finance utilise des données météorologiques et satellitaires pour proposer des assurances agricoles adaptées aux petits exploitants. Au Nigeria, Chipper Cash et Moniepoint exploitent les données de transaction pour offrir des services financiers sur mesure. Au Ghana, mPharma analyse les données médicales pour optimiser la distribution de médicaments et anticiper les pénuries.
Ces entreprises partagent un même constat : les données africaines sont sous-exploitées, mais leur potentiel est colossal. Dans un environnement où les infrastructures sont encore fragiles, la donnée devient un outil d’efficacité, de prévision et d’inclusion. En s’appuyant sur des jeux de données locales — climatiques, démographiques ou comportementales —, ces startups conçoivent des solutions adaptées aux réalités du terrain.
De la collecte à la monétisation : une nouvelle chaîne de valeur
La plupart de ces jeunes entreprises n’en sont plus à la simple collecte d’informations. Elles développent de véritables modèles de monétisation de la donnée, à la croisée de l’innovation et de la souveraineté numérique. Certaines vendent leurs analyses à des institutions publiques ou à des ONG, d’autres proposent des API de données aux fintechs, aux opérateurs télécoms ou aux assureurs.
À Lagos, la startup Stears Data illustre cette dynamique : elle fournit des tableaux de bord économiques et politiques basés sur des données locales, utilisés par des fonds d’investissement et des gouvernements. En Afrique du Sud, Aerobotics valorise ses données agricoles issues de drones et d’images satellites auprès de compagnies d’assurance et de coopératives. Chaque information devient une ressource à part entière, un actif commercialisable.
L’IA, catalyseur de la valeur des données africaines
L’intelligence artificielle joue un rôle central dans cette révolution. Les startups africaines utilisent de plus en plus des modèles d’IA formés sur des données locales, afin de rendre leurs solutions plus pertinentes. Au Rwanda, Zindi, une plateforme panafricaine de data science, met en relation des milliers de jeunes experts africains avec des entreprises cherchant à exploiter leurs données. Ses concours d’IA participent à l’émergence d’un écosystème de compétences locales.
L’IA permet aussi de rendre la donnée plus “vivante” : elle la transforme en prédictions, en recommandations ou en automatisations. Par exemple, Tanzania AI Labs développe des modèles d’analyse pour anticiper les épidémies rurales, tandis que Wasoko utilise l’analyse prédictive pour optimiser la chaîne d’approvisionnement dans le commerce informel. Ces applications montrent comment la donnée, une fois interprétée par des algorithmes, devient un levier de productivité et de résilience économique.
Entre souveraineté et dépendance : les défis de la data africaine
Mais derrière cet engouement, se cache une question fondamentale : à qui appartiennent les données africaines ? La plupart des serveurs, plateformes et outils d’analyse sont encore hébergés à l’étranger, notamment en Europe ou aux États-Unis. Cette dépendance technologique expose les pays africains à des risques de fuite, de manipulation ou de captation de valeur.
Pour y remédier, plusieurs gouvernements africains adoptent des lois sur la protection et la localisation des données. Le Nigeria, le Kenya et le Sénégal ont déjà mis en place des régulations inspirées du RGPD européen, tandis que l’Union africaine travaille à un cadre continental pour la gouvernance des données. L’objectif : renforcer la souveraineté numérique et garantir que la valeur créée par la donnée reste sur le continent.
Une nouvelle ressource pour l’économie du futur
L’Afrique entre ainsi dans une phase cruciale de son développement numérique. Après avoir raté la révolution industrielle, le continent semble bien décidé à ne pas manquer celle de la donnée. En valorisant ses ressources informationnelles, il se dote d’un nouveau moteur de croissance, plus durable et inclusif.
Les startups africaines, en combinant innovation, pragmatisme et ancrage local, prouvent que la donnée n’est pas qu’un outil technique : c’est une matière première stratégique, un “or noir du XXIᵉ siècle” au service du développement.
La prochaine étape consistera à bâtir une véritable économie de la donnée africaine, où chercheurs, gouvernements et entrepreneurs collaboreront pour transformer cette ressource brute en connaissance, puis en valeur. L’Afrique ne se contente plus d’être observée : elle analyse, interprète et décide à partir de ses propres données.
Sources : Briter Bridges (2025), GSMA Africa, Banque africaine de développement, Stears Data, Zindi Africa, TechCabal, The Africa Report, Quartz Africa.