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16 octobre 2025
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Data centers en Afrique : enjeux, opportunités et projets en cours

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Et si la souveraineté numérique africaine se jouait dans la maîtrise de ses données ? Longtemps dépendant des infrastructures étrangères pour héberger ses informations stratégiques, le continent accélère désormais la construction de data centers à grande échelle. Derrière ces infrastructures invisibles se joue un enjeu décisif : celui de la souveraineté, de la connectivité et de la compétitivité économique de l’Afrique à l’ère du cloud.

En 2025, le marché africain des data centers connaît une croissance sans précédent. Selon le cabinet Research and Markets, le continent comptera plus de 250 centres de données opérationnels d’ici 2026, contre à peine 80 il y a cinq ans. Le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Maroc, l’Égypte et le Ghana dominent actuellement le secteur, mais de nouveaux projets émergent au Rwanda, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. L’ensemble du marché est estimé à plus de 5 milliards de dollars, tiré par la digitalisation rapide des entreprises, l’explosion du cloud computing et la montée en puissance de l’intelligence artificielle.

Des enjeux de souveraineté et d’indépendance numérique

Pendant longtemps, la majorité des données africaines — celles des gouvernements, des banques, des médias ou des réseaux sociaux — étaient hébergées en Europe ou aux États-Unis. Une situation coûteuse et risquée, qui posait des questions de confidentialité et de dépendance technologique. La création de data centers locaux vise donc à rapatrier les données sur le sol africain, à renforcer la sécurité numérique et à favoriser l’autonomie stratégique des États.

La Commission de l’Union africaine a d’ailleurs fait de la souveraineté des données un pilier de sa stratégie numérique 2030. Héberger les données en Afrique, c’est aussi garantir que la valeur créée par leur exploitation — dans le cloud, la publicité, ou l’intelligence artificielle — profite aux économies locales plutôt qu’aux géants technologiques étrangers.

Une opportunité économique majeure

Les data centers ne sont pas seulement des infrastructures techniques : ils constituent un levier de développement économique et d’emploi qualifié. Chaque nouveau site nécessite des ingénieurs en électricité, des spécialistes en cybersécurité, des architectes réseaux et des techniciens de maintenance. Selon IDC Africa, le secteur pourrait créer plus de 200 000 emplois directs et indirects sur le continent d’ici 2030.

De plus, ces infrastructures soutiennent la croissance des startups africaines, qui ont désormais accès à des solutions de stockage locales, moins chères et plus rapides. Le développement du cloud “made in Africa” réduit la latence, améliore la sécurité et permet aux entreprises de respecter les réglementations locales sur la protection des données.

L’exemple du Rwanda Data Center, inauguré à Kigali en 2024, illustre cette dynamique. Conçu comme un hub régional pour l’Afrique de l’Est, il offre une capacité de 1,5 MW et héberge déjà plusieurs institutions publiques et fintechs locales. De même, MainOne (filiale d’Equinix) a ouvert un nouveau centre à Lagos, tandis que PAIX Data Centres étend ses sites au Ghana et en Côte d’Ivoire. Ces initiatives traduisent un mouvement profond vers une infrastructure numérique continentale intégrée.

Un secteur dominé par des acteurs hybrides

Les grands groupes internationaux — Huawei, Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud, Equinix — multiplient les investissements, souvent en partenariat avec des entreprises africaines. Cette coopération favorise le transfert de technologies, mais soulève aussi la question de l’équilibre entre investissement étranger et souveraineté locale.

À titre d’exemple, le Kenya Data Park Project, piloté par Huawei et Safaricom, ambitionne de faire de Nairobi un hub de cloud pour toute l’Afrique de l’Est. En parallèle, le Maroc et l’Égypte investissent dans des centres régionaux interconnectés, destinés à héberger les données des entreprises africaines francophones et arabophones. Ces infrastructures servent aussi de base à la montée en puissance de l’intelligence artificielle, qui nécessite des capacités massives de calcul et de stockage.

Des défis persistants : énergie, régulation et environnement

Malgré cet essor, le continent doit encore surmonter plusieurs obstacles. Le coût de l’énergie, la fiabilité du réseau électrique et la régulation des données figurent parmi les principaux défis. Les data centers sont extrêmement énergivores : alimenter un site de 1 MW peut coûter jusqu’à 2 millions de dollars par an. Dans des pays où l’accès à l’électricité reste parfois instable, les exploitants doivent investir massivement dans les énergies renouvelables.

De plus, la fragmentation réglementaire entre les États africains complique l’harmonisation des politiques de protection des données. L’Union africaine travaille actuellement à un cadre continental inspiré du RGPD européen, mais son adoption reste inégale selon les pays. Enfin, les opérateurs cherchent à rendre leurs installations plus éco-responsables, en utilisant des technologies de refroidissement passif et en s’approvisionnant en énergie solaire ou hydraulique.

Vers un futur interconnecté et durable

L’Afrique est aujourd’hui à un tournant : d’une dépendance structurelle à une maîtrise progressive de ses infrastructures numériques. La multiplication des câbles sous-marins — tels que Equiano de Google ou 2Africa de Meta — renforce la capacité du continent à héberger et distribuer ses propres données. Les data centers deviennent ainsi la colonne vertébrale de la transformation digitale africaine, reliant l’innovation locale, la gouvernance des données et la croissance économique.

Comme le souligne Angela Wamola, directrice Afrique de la GSMA : “Les data centers sont pour le numérique ce que les ports furent pour le commerce : des portes d’entrée vers la souveraineté.” À l’aube de la décennie 2030, l’Afrique n’est plus seulement un consommateur de technologies, mais bien un bâtisseur de son propre avenir digital.

Sources :
Union africaine – Stratégie numérique 2030 ; Research and Markets (Rapport “Africa Data Center Market 2025”) ; IDC Africa ; GSMA Africa Connectivity Report ; Jeune Afrique Économie ; DataCenter Dynamics ; TechCabal ; CIO Mag.

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