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Burkina: un dispositif de gestion informatique des données dans les structures sanitaires mis au point par un jeune médecin

Médecin de profession, Bamogo Irénée a mis au point un dispositif de gestion informatique des données dans le domaine de la santé. Un projet qui a été récompensé lors de la Semaine du Numérique (SN2019). Nous sommes allés à la rencontre de ce jeune médecin passionné des TIC pour découvrir son application.

TIC MAGAZINE BF : Bonjour, présentez-vous à nos lecteurs

Bamogo Irénée : Bonjour. Alors, je suis le Dr Bamogo Irénée, et je suis médecin généraliste exerçant au centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya, dans le service de pédiatrie. Bien qu’étant un agent de la santé, cela ne m’empêche pas de m’intéresser à d’autres domaines qui m’ont toujours passionné, et parmi ces domaines, les TIC et tout ce qui a trait à la technologie en font partie. Je suis un autodidacte, c’est-à-dire que les connaissances que j’acquiers en dehors du domaine de la médecine sont le résultat d’une autoformation.

TM : Le Registre Numérique des Services de Santé (RNSS), c’est le nom de l’application que vous avez conçu, parlez-nous de ce projet ?

B.I : Il s’agit d’un projet ambitieux qui vise à mettre à la disposition de nos structures de santé un dispositif de gestion informatique des données, dispositif qui est actuellement inexistant, en tout cas dans la plupart de nos structures de santés publiques. Cette application a pour objectif de nous permettre de tirer profit des avantages de la gestion numériques des données par la dématérialisation des supports de collecte des données que sont par exemple les registres et les dossiers médicaux.

TM : A quelle problématique répond cette application et comment fonctionne-t-elle ?

B.I : Nos centres de soins (je parle spécifiquement des centres publics que je connais : CSPS, CMA, CHR, CHU…) pour la plupart ne disposent pas d’un système de gestion informatisée des données médicales des patients. Tous les supports de collecte de données sont physiques, c’est-à-dire, en version papier.

Comme vous le savez peut être déjà, lorsqu’un patient consulte dans une structure, il est toujours enregistré dans un registre de consultation où sont notés les renseignements le concernant (nom, prénom, motif de consultation, symptômes, examens et traitements prescrits, etc.). S’il doit être hospitalisé, on l’enregistre dans le registre d’hospitalisation. Et durant son séjour d’hospitalisation, il a un dossier médical dans lequel sont consignées toutes les informations liées à son état de santé, ses traitements, ses résultats d’examen, etc.

Le premier inconvénient de ces supports physiques est que, si un patient consulte à nouveau dans la même structure et qu’il faille faire ressortir son ancien dossier d’hospitalisation par exemple, parce qu’il y a des informations importantes à savoir pour sa prise en charge, eh bien, ce n’est pas toujours facile de rechercher cet ancien dossier. En effet, dans nos conditions de travail, les conditions dans lesquelles on classe les registres qui sont remplis, les dossiers des patients sortants qu’on doit ranger, sont telles que la recherche d’un patient dans un ancien registre ou la recherche même de son ancien dossier sont très laborieuses. C’est parmi des tas et des tas de « paperasse » qu’il faut passer beaucoup de temps à fouiller ça et là, temps dont nous ne disposons pas toujours. C’est le premier inconvénient.

Le deuxième inconvénient, les centres de santé doivent régulièrement établir un bilan de leurs activités et transmettre des rapports statistiques aux autorités de santé. Et ces bilans sont forcément dressés sur la base des données collectées dans les registres et dossiers. Fouiller dans ces documents physiques pour établir les différents bilans par sexes, par âge, par symptômes etc. est un travail qui réclame du temps et de la concentration, avec les risques d’erreurs de comptage qui vont avec. Du coup, l’exactitude des chiffres n’est parfois pas garantie.

C’est devant tout ce tableau que RNSS se présente comme un outil qui permettra d’apporter une solution à cette problématique. Pour ce faire donc, RNSS est un logiciel qui permet l’enregistrement de toutes les données collectées auprès des patients reçus, depuis leur premier contact avec la structure jusqu’à leur sortie. Une fois ces données enregistrées dans la base de données, il est possible d’y accéder instantanément à tout moment en cas de besoin. Même à l’occasion d’une autre consultation ou hospitalisation, l’accès aux informations antérieures est instantané à partir du numéro de code unique du patient ou de ses identifiants (nom, prénoms, etc.). Finies les recherches laborieuses dans les tas de paperasse.

Ensuite, à partir des informations contenues dans la base de données, RNSS permet de générer instantanément un rapport statistique. Le logiciel réclame juste qu’on indique la période de temps à couvrir pour ce rapport (date de début, date de fin). Une fois ce détail renseigné, RNSS analyse toutes les données enregistrées dans la période indiquée, effectue des tris, des décomptes, par sexe et par âge, par symptômes etc., puis crée un fichier Excel et y insère tous ces résultats, tous ceci en l’espace de quelques secondes. L’exactitude des chiffres et la qualité des rapports sont ainsi garanties.

Puis, RNSS est destiné à permettre l’interconnexion des données entre différents services de soins. Dans sa version actuelle (c’est la toute première version du logiciel), RNSS permet déjà la consultation des données à distance. Ainsi, au sein d’un même service par exemple, les médecins peuvent, à partir de leurs bureaux respectifs, se connecter à l’ordinateur central hébergeant la base de données et accéder au dossier numérique d’un patient (par exemple lorsque celui-ci revient pour son rendez-vous).

De plus, dans une structure comportant plusieurs services (tels que pédiatrie, maternité, chirurgie, médecine, etc. comme les CHR, CHU…) chacun de ces services peut en cas de besoin accéder instantanément aux informations des autres services. Par exemple on imagine qu’une femme a été hospitalisée dans le service de médecine où elle a réalisé quantité d’examens. Et si une autre fois elle se retrouve par exemple dans le service de la maternité, les agents qui la prendront en charge en maternité peuvent parfois avoir besoins de certains renseignement contenu dans son ancien dossier du service de médecine. De tels renseignements importants ne sont pas toujours bien notés dans les carnets de santé.

La prochaine étape en rapport avec cette fonctionnalité d’interconnexion, sera de faire en sorte qu’un spécialiste qui est à Ouagadougou par exemple puisse aisément consulter les informations d’un patient hospitalisé dans une structure d’une autre ville où il n’y a pas de spécialistes, et donner des directives si le patient ne peut pas être référé ou manque de moyens financiers pour venir se faire prendre en charge à Ouagadougou. Nous sommes fréquemment confrontés à cette dernière situation, étant donné les conditions économiques défavorables de bons nombre de nos patients. Donc, on peut dire que RNSS permettra une sorte de « télémédecine ».

Une parenthèse pour dire que RNSS ne rendra pas service seulement au corps médical, mais aussi aux patients eux-mêmes, en leur permettant de faire des économies. Comment ? Sachez qu’il y a des examens qui, une fois réalisés, restent valables toutes la vie et il est inutile de devoir les réaliser à nouveau. Je vous cite par exemple le groupe sanguin, l’électrophorèse de l’hémoglobine (l’examen réalisé pour déterminer si un sujet est drépanocytaire ou a un autre problème au niveau de son hémoglobine). Ce qui se passe dans notre pratique quotidienne, c’est que nous sommes toujours obligés de prescrire à nouveau ces examens chaque fois que nécessaire même si le patient nous dit verbalement qu’il est de tel groupe sanguin ou que son électrophorèse est ceci ou cela, tant que nous ne voyons pas nous-mêmes la preuve de ces résultats. Ainsi, comme RNSS permettra de rechercher et retrouver en quelques clics ces informations (même s’il s’agit d’examens qui auront été réalisés des mois ou années auparavant), les patients ne seront plus obligés de débourser pour répéter ces examens.

Voici donc quelques fonctionnalités saillantes de RNSS, mais il y en a encore d’autres.

TM : Le RNSS, est-ce une application qui sera mise à disposition dans tous les centres de santé au Burkina ?

B.I : RNSS est une idée personnelle que j’ai entreprise de réaliser suite aux difficultés de gestion des données que j’ai constatées lorsque j’ai commencé à exercer en fin 2016. Comme je savais que l’outil informatique peut nous apporter beaucoup dans la gestion de nos données, et que visiblement nos structures sont à la traine dans ce domaine de gestion informatisée des données médicales, je me suis donc proposé de concevoir moi-même un outil numérique à partir des connaissances basiques que je pouvais acquérir.

L’objectif premier, c’était d’en faire profiter d’abord à la structure dans laquelle j’exerce actuellement, le centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya. Et pendant la conception du logiciel, c’est par hasard que j’ai eu vent du concours génie logiciel et j’en ai donc profité pour participer. Donc, il ne s’agit pas d’un projet initié par les autorités. Ce qui m’a incité à participer au concours, c’était la possibilité de faire connaitre cet outil avec les potentialités qu’il a à offrir, au cas où il se ferait remarquer à l’occasion du concours. Et heureusement contre toutes attentes, il a été remarqué et reconnu comme étant le meilleur de sa catégorie.

Mon souhait donc pour la suite est que les autorités de santé s’intéressent de près à cet outil pour le rendre exploitable par tout notre système de santé. Car cela ne saurait se faire sans l’accord de ces autorités. Pour résumer, en tant qu’agent de santé, j’ai fait un diagnostic du terrain, constaté un manque et élaboré un outil adapté qui est actuellement inexistant. La suite dépendra de l’intérêt que les autorités lui accorderont.

TM : Les données des patients seront certainement renseignées sur cette application, comment se fera alors leur gestion ?

B.I : C’est une question extrêmement importante quand on sait que les informations médicales de tout patient doivent être confidentielles, et à cause du principe du secret médical auquel nous nous plions tous, moi qui suis le concepteur de cette application et en même temps médecin, je suis le premier à m’en préoccuper.

Alors, la gestion des données enregistrées se présente comme suit. RNSS est uniquement destiné, comme son nom l’indique, aux centres de santé. Les données sont enregistrées dans un ordinateur central, de préférence l’ordinateur situé dans le bureau du Surveillant d’Unité de Soin ou alors dans la salle des consultations (si cette salle est équipée d’un ordinateur). Les autres agents qui installeront RNSS sur leur machines personnelles le feront uniquement pour l’accès à distance aux données contenues dans l’ordinateur central du service. Pour accéder aux données, il faut pouvoir franchir quelques barrières de sécurité. D’abord, il faut pouvoir se connecter au « réseau local » du service, qui nécessite de connaitre le mot de passe pour la connexion à ce réseau. Ensuite, il faut que le nom et/ou l’adresse IP de l’ordinateur distant qui se connecte à l’ordinateur central fasse partie de la « liste des ordinateurs autorisés » préalablement définis dans l’ordinateur central. Pour accéder directement aux données sur l’ordinateur central même, RNSS requiert un identifiant et un mot de passe secrets que seuls devront connaitre les agents habilités à accéder à ces données.

La préservation de l’intégrité des données n’est pas en reste. A chaque fermeture, RNSS exécute une sauvegarde des données dans un fichier distinct du fichier de base de données principale.

Ce protocole de sécurité n’est pas définitif, en ce sens qu’il sera régulièrement revu pour renforcer la sécurité et la confidentialité des données.

TM : A la 5ème édition de la Semaine du Numérique, vous avez reçu un prix dans la catégorie Génie Logiciel, quel sentiment vous a animé lors de la réception de ce prix ?

B.I : J’ai d’abord été honoré et surtout satisfait pour la mention de meilleure « application de bureau » de sa catégorie, car comme je l’ai dit un peu plus haut, cela a concrétisé mes attentes. Et j’avoue que je n’en revenais pas !

Ensuite, ce prix m’a permis d’avoir un peu plus confiance en mes capacités bien que je ne suis pas un informaticien ni un programmeur professionnel. C’est la preuve que les longues heures de recherches, de lectures, d’autoformations et surtout les nuits sans sommeil n’ont pas été vaines.

Je remercie ainsi les initiateurs de cet évènement car il y a du potentiel dans ce pays, des potentiels qui attendent d’être remarqués et découverts, et cela ne peut se faire qu’à l’occasion d’évènements comme celui-ci.

Quand je parle de potentialités, je ne parle pas forcément de moi, mais de tous ces jeunes qui ont été primés à l’occasion de la cérémonie de remise des prix. Les autorités ne doivent pas se contenter uniquement d’offrir des prix et féliciter. Les lauréats auront une pleine satisfaction pour le génie dont ils ont fait preuve que si les autorités s’intéressent de près à leurs œuvres et se les approprie pour en faire bénéficier le pays. On est satisfait de son œuvre que lorsqu’on la voit profiter aux autres.

TM : Un message pour clore cet entretien ? 

B.I : Pour finir, il faudrait que je remercie absolument Jéhovah Dieu, qui nous a ainsi créés avec ce magnifique cerveau qui nous permet de réfléchir devant des problèmes concrets et de concevoir des solutions. Cette aptitude et cette facilité que j’ai à m’auto-former dans un domaine qui n’appartient pas à ma profession, je la lui dois.

J’ai conçu RNSS presqu’exclusivement pour nos centres de santé publics, afin de démontrer qu’un système de gestion informatisée des données n’est pas un luxe que seules peuvent s’offrir les structures privées et bien organisées ayant de gros moyens. Non, cela est aussi à la portée de nos centres de santé publics malgré les ressources limitées dont on dispose.

Sans vouloir vanter inutilement RNSS, il sera très difficile de disposer d’un outil alternatif aussi adapté à nos conditions et besoins de travail que RNSS, car RNSS est l’œuvre d’un agent de santé « burkinabè » exerçant au quotidien dans un centre de santé « burkinabè » et qui connais bien les conditions régnant dans les centres de santé publics « burkinabè ». C’est pour dire que ce qui fait la particularité de RNSS, c’est que les connaissances techniques utiles à sa conception et les besoins de l’utilisateur final se sont retrouvés fusionnés en une seule et même personne.

J’ai utilisé le peu de savoir dont Dieu m’a doté pour mettre au point une solution pour répondre à une problématique. Ici s’arrête ce que je peux faire et je l’ai fait. Mon souhait pour la suite est que le système pour lequel j’ai expressément conçu cet outil s’y intéresse et mette en œuvre les procédures qui aboutiront à son déploiement dans les différentes structures de santé. Parmi ces procédures, il y a entre autres les suggestions en termes d’améliorations, d’exigences, de configurations et diverses conditions que je serai disposé à exécuter afin de prendre en compte des éléments auxquels je n’ai peut-être pas pu penser.

Déjà en cet instant précis, je suis en train de poursuivre des travaux d’améliorations supplémentaires, si bien que la version qui a reçu le prix le 23 Novembre 2019 laissera bientôt la place à une version plus évoluée. Je suis donc engagé dans un travail d’amélioration continue de cet outil.

Cette expérience fait que je suis en train de prendre goût à la programmation et je renforce continuellement mes connaissances en la matière. C’est ainsi que j’ai repéré un autre domaine dans lequel il y a un besoin et je travaille donc parallèlement au développement d’une application pour tablette pour le suivi des PVVIH (personnes vivant avec le VIH), au profit des centres qui ne disposent pas d’ordinateur. Là encore, il s’agit d’une initiative personnelle et je ne sais pas si cela intéressera nos autorités. On verra.

TIC MAGAZINE BF

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