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Conflit Huawei-Google: comprendre la crise à travers 11 questions

Huawei est dans le collimateur de l’administration américaine depuis de longs mois, mais la crise a pris une tout autre ampleur après l’interdiction officielle d’avoir des relations commerciales avec des sociétés étrangères à risques.

Huawei est dans l’œil du cyclone depuis quelques mois, le géant chinois de la téléphonie mobile étant accusé par l’administration Trump d’espionnage. Mais les choses se sont accélérées depuis l’interdiction officielle de dealer avec toute entreprise « pouvant mettre en péril la sécurité nationale« . Depuis l’annonce faite par Google de stopper ses relations commerciales avec le géant chinois, les choses se sont enchaînées, les déclarations se sont multipliées, les décisions prises ont été reportées, les négociations ont repris, les plans B ont éclos… De quoi rendre cette affaire extrêmement confuse.

Voici 11 questions pour apporter des réponses aux principaux points d’un dossier qui devrait connaître encore de nombreux rebondissements.

1 / Pourquoi Huawei est-il la cible des États-Unis ?

Les États-Unis de Donald Trump ont ouvert un nouveau front dans la guerre commerciale engagée contre la Chine, en attaquant Huawei, le géant des télécoms, persuadé de détenir une arme redoutable pour faire plier l’expansionnisme chinois. Une sorte de nouvelle guerre froide économique dirigée contre le concurrent le plus dangereux pour les intérêts américains, qui plus est peu enclin à s’ouvrir politiquement. En février 2018, six agences américaines dont la CIA, La NSA et le FBI lancent l’alerte en déconseillant d’utiliser des produits des marques chinoises Huawei et ZTE, l’une et l’autre soupçonnées d’espionner pour le compte du gouvernement chinois. La Commission fédérale des communications vote en avril 2018 le blocage des ventes d’équipements télécoms de ces deux fabricants. Les choses vont ensuite s’accélérer : exclusion du marché de la 5G dans certains pays, arrestation de la directrice financière de Huawei au Canada, ouverture d’une enquête en janvier 2019 pour vols de secrets commerciaux et technologiques… Cette montée des tensions aboutit le 15 mai dernier à l’interdiction officielle de se fournir auprès de sociétés étrangères à risque pour les réseaux télécoms.

2 / Pourquoi cela s’accélère-t-il ?

Cette décision pousse les entreprises américaines en relation avec Huawei à faire machine arrière toute. La première d’entre elles, et non des moindres, est Google. La firme de Mountain View annonce le 19 mai suspendre ses relations commerciales avec le fabricant chinois dont les futurs appareils ne pourront plus utiliser Android et les services de Google (Google Play, Google Maps, Youtube, Google Search…). « C’est une décision incroyable. Les États-Unis montrent ici leur puissance de feu. Ils dominent le monde de la tech et le prouvent encore. Vous avez le deuxième fabricant mondial de smartphones face aux États-Unis. Cela montre aussi que la position dominante d’un seul OS peut aboutir à ce genre de situation. C’est d’autant plus impressionnant que vous avez en face la Chine, le pays où se fabriquent tous les smartphones du monde, même ceux d’Apple« , a déclaré aux Numériques Eric Léandri, le PDG de Qwant, le moteur de recherche européen qui veut protéger les données personnelles.

3 / Quelles sont les sociétés qui prennent leur distance avec Huawei ?

Dans la foulée, suivent des groupes comme Intel, Qualcomm, Broadcom, mais aussi et surtout ARM, le groupe basé à Londres qui fournit l’architecture des puces développées par Huawei et qui pourrait lui permettre de voler de ses propres ailes.
Et ces annonces ont eu un effet boule de neige. Des opérateurs britanniques et japonais ont également pris leurs distances mercredi 23. Puis c’est au tour de Panasonic, jeudi, de cesser de fournir des composants. Toshiba a annoncé vouloir suspendre ses livraisons temporairement.
Microsoft a également annoncé de son côté suspendre les ventes de PC Huawei sur sa boutique en ligne aux États-Unis.
De nouvelles entreprises ont rejoint la liste depuis : la Wi-Fi Alliance, the Bluetooth SIG, la SD Association et Corning Inc, la compagnie qui se charge de fournir les Gorilla Glass.

4 / Huawei peut-il s’en sortir sans Google ?

Face à la crise, Huawei s’organise. Le représentant du groupe devant les instances européennes, Abraham Liu, assure ainsi que différentes équipes du groupe travaillent main dans la main avec Google pour répondre à l’embargo américain. Huawei a obtenu un sursis de trois mois, jusqu’au 19 août. Ce qui lui permet de peaufiner son alternative. Depuis plusieurs mois, le géant chinois travaille effectivement en secret sa réponse pour pouvoir se passer de ses interlocuteurs américains.
Pour le moment, Huawei mise tout sur les négociations qu’il mène avec Google. Il affirme vouloir trouver une solution durant le laps de temps accordé par Washington. « Ça ne nous intéresse pas de couper les ponts« , déclare-t-on.
Mais parallèlement, le groupe s’active pour trouver un plan B, en développant son propre système d’exploitation concurrent. Selon CNBC, il pourrait être prêt en Chine avant la fin de l’année. Ce système serait disponible à l’international début 2020. Selon le quotidien chinois Global Times, l’OS baptisé HongMeng, est en phase d’essai. Il a été développé dès 2012.  Chez Huawei, on se montre plutôt optimiste. « Nous avons un écosystème solide et une expérience très complète en Chine. C’est transposable en Europe« , mais il n’y a pas les applications équivalentes, c’est ça le problème. Après, Huawei réfléchit à la possibilité de fournir des smartphones avec une version Android OpenSource, libre aux utilisateurs ensuite d’aller installer les services Google.
Huawei travaille également secrètement sur un store d’applications propriétaire depuis plusieurs mois. Mais ce sera difficile de venir concurrencer Google Play Store. Depuis le début de l’année 2018, le géant chinois frapperait à la porte des développeurs d’applications, mais également des opérateurs télécoms européens avec des propositions alléchantes. L’idée étant d’étoffer le catalogue du magasin et de favoriser son déploiement le plus rapidement possible.
Les choses pourraient toutefois aller dans le bon sens pour le groupe, après que le président américain, Donald Trump, a expliqué que « si l’on parvenait à un accord commercial avec la Chine, Huawei pourrait en faire partie ». Huawei a annoncé d’autre part mercredi 29 mai avoir déposé une demande en référé auprès de la justice américaine visant à faire annuler ce boycott.

5 / Les autres fabricants de smartphones peuvent-ils être touchés ?

Les États-Unis ont d’abord ciblé ZTE puis Huawei. Ils sont l’un et l’autre des fabricants de smartphones, mais ils sont surtout des acteurs télécoms de premier plan. Huawei réalise 48 % de son chiffre d’affaires dans les smartphones, mais est devenu un acteur incontournable des infrastructures nécessaires pour la 5G. Les autres fabricants chinois n’ont pas cette double casquette. Les Xiaomi, Oppo, Vivo, OnePlus ne jouent pas encore dans la même catégorie. Et last but not least, leur fondateur n’est pas un ancien cadre de l’armée, membre du Parti communiste chinois ! Un acteur chinois qui préfère taire son nom nous faisait remarquer qu’il n’avait aucun lien avec le gouvernement chinois… Sont-ils pour autant en dehors de toute réplique. Pas évident, surtout si la Chine réagit en boycottant les produits Apple, par exemple. On imagine très bien la suite. Donald Trump a su se montrer imprévisible !

6 / Qui peut profiter de cette situation ? 

Samsung a été le premier à profiter de la situation. L’action du géant sud-coréen a effectivement pris près de 3 % mardi à la Bourse de Séoul. Le numéro un mondial ne peut que se satisfaire de voir le désormais numéro 2 du marché — qui ne cache pas son ambition de ravir la première place du podium dès cette année — se prendre un bâton dans la roue. Le directeur général de Nokia, Rajeev Suria, se frotte quant à lui les mains. Il a effectivement reconnu que les sanctions prises par l’administration Trump pourraient faire ses affaires. Nokia est avec Ericsson un rival de Huawei pour les nouvelles infrastructures télécoms dans le cadre de la mise en route de la 5G.

Des entreprises américaines sont en revanche des victimes de la décision prise par l’administration. Les fabricants de puces ont par exemple vendu l’an dernier pour 11 milliards de dollars de composants à Huawei. Ils pourraient voir d’un très mauvais œil le groupe chinois s’affranchir de leurs services dans les années à venir.

7 / Comment la Chine peut-elle réagir ?

La Chine a fini par réagir par la voie de son ministre des affaires étrangères. Wang Yi a déclaré mercredi que « l’utilisation de la puissance américaine pour faire disparaître des entreprises privées chinoises, comme Huawei, est typique du harcèlement économique« . Une protestation officielle a suivi jeudi 23 mai. « Concernant les mesures américaines, la Chine a transmis des déclarations solennelles« , a déclaré Gao Feng, porte-parole du ministère du Commerce chinois, lors d’un point de presse hebdomadaire à Pékin. « La meilleure réponse au harcèlement américain consiste, pour les entreprises chinoises, à continuer de croître fortement. » Il a assuré que Pékin prendrait les mesures nécessaires pour préserver « les intérêts légitimes des entreprises chinoises« .

Tous les yeux sont désormais tournés vers Pékin, pour voir si la réaction économique ne va pas être plus radicale. Interrogée par Les Numériques, Annette Zimmerman, analyste chez Gartner a déclaré « s’attendre à une contre-attaque visant Apple » ; un avis partagé par bon nombre d’analystes. La firme à la pomme assemble ses appareils en Chine et dépend du marché chinois pour un cinquième de ses revenus. La banque Goldman Sachs a évalué à 30 % de ses revenus les pertes possibles pour Apple en Chine. Selon un analyste de Wedbush Securities, Dan Ives, cité par Bloomberg, les ventes d’iPhone en Chine pourraient reculer de 3 à 5 % dans les 12 à 18 prochains mois. Mais Ren Zhengfei, a fait savoir, dans une interview à Bloomberg,  que des représailles de Pékin contre Apple sont peu probables et qu’il s’opposerait à de telles mesures.

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